La prévention des douleurs d’épaules est l’un des points cruciaux dans le domaine des soins de santé fournis aux blessés médullaires : en moyenne 67 % des patients blessés médullaires sont concernés; 100% après 15-20 ans de lésion !
Par conséquent, l’une des grandes priorités est d’expliquer aux personnes le fonctionnement d’une épaule, pourquoi c’est une articulation fragile, quels sont les mouvements délétères et quelles sont les moyens de la protéger pour limiter les troubles musculo-squelettiques au long cours.
Anatomie et fonctionnement d'une épaule
La mobilité de l’épaule met en jeu plusieurs articulations pour permettre une amplitude totale et préserver l’intégrité musculaire et articulaire, dont les 2 plus importantes :
- Scapulo thoracique: la mobilité de cette articulation est essentielle pour permettre de favoriser le centrage de la tête humérale dans la glène de la scapula et de maintenir un espace sous acromial suffisant afin de limiter les frottements > Action conjointe des trapèzes et du dentelé
- Gleno humérale : action conjointe des muscles de la coiffe des rotateurs pour stabiliser la tête humérale lors de l’action des deltoïdes.
Mais cette articulation est fragile car peu congruente. L’épaule est stable du fait des structures péri-articulaires, le bourrelet glénoïdien, la capsule, la membrane synoviale, la bourse séreuse mais surtout grâce à l’ensemble des ligaments et tendons.
Physiologiquement l’épaule sert à orienter la main dans l’espace afin de saisir des objets ainsi qu'à porter des objets.
Mais suite à une lésion de la moelle épinière, d’autres tâches SUPPLEMENTAIRES NON PHYSIOLOGIQUES vont s’ajouter avec la propulsion du fauteuil roulant manuel, les transferts, les prises en hauteur qui vont sur-solliciter les épaules de façon répétées.
Les mouvements délétères
Certains mouvements sont plus à risque de lésion et doivent être minimisés afin de préserver au maximum les tendons au long cours. Ainsi, il faut être vigilant lors des transferts et de la propulsion du fauteuil roulant manuel aux positions vicieuses : sur-élévation, extension et rotation interne d’épaule.
L’impact dans la vie quotidienne
A la suite de douleurs d’épaules, de nombreuses activités de la vie quotidienne sont impactées :
- La marche en béquille
Pour les patients incomplets, la marche met en charge au niveau des épaules de 22 à 35% du poids corporel. Elle est comparable à la propulsion du fauteuil manuel dans une montée à 8% (Haubert, 2006).
- Les transferts
Ils sont impactés chez 65% des blessés médullaires. En effet, les patients effectuent en moyenne 15 à 20 transferts/jour (Odle, 2021).
Lors des transferts, une étude montre que la pression dans l'espace acromio-deltoïdien passe de 40 mmhg à 250 mmhg lors de la phase portante d'un transfert latéral. Ce qui pourrait expliquer la fréquence des lésions de la coiffe et de la pathologie sous acromio- deltoïdienne.
La contrainte lors des transferts serait 3 fois supérieur à celle lors de la propulsion en fauteuil manuel.
- La manipulation du fauteuil roulant manuel
Elle est impactée chez 79% des blessés médullaires. Les patients parcourent en moyenne 2 à 3,3 km/jour (Sonemblum 2012, Cooper 2011).
Une étude de Gironda et al. (2003) chez 669 participants blessés médullaires montre que 83% ont des douleurs d’épaules avec l’utilisation du fauteuil roulant manuel :
- 23 % sont dues à une activité spécifique,
- 43,2 % sont épisodiques,
- 33,8 % sont chroniques.
L’outil de mesure WUSPI (wheelchair user’s shoulder pain index), évalue les activités déclenchant des douleurs modérées à sévères : la poussée dans un plan incliné à l’extérieur, l’élévation d’un poids depuis le sol jusqu’au-dessus de la tête, la poussée de 10 minutes ou plus du fauteuil manuel et le chargement du FRM dans la voiture.
Lors de la propulsion :
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- en phase de poussée : contraction du grand pectoral, du deltoïde antérieur et de l'infra-épineux
- en phase de récupération : contraction du deltoïde moyen, du subscapulaire et de l'infra-épineux
Ceci crée une sur-sollicitation en rotation interne et l’ascension de la tête humérale : des mouvements délétères de façon répétée.
Une autre étude a montré l’impact de l’environnement sur la force de propulsion qui augmente de 18 à 130 % en fonction du terrain (plat, moquette, surface molle, pente 5-10°, passage trottoir 2-5-15cm).
- Les autres facteurs sont :
- Le port de charge et la saisie d'objets en hauteur
- Le sur-poids : 66% des blessés médullaires seraient en surpoids (Gelis 2011).
Les attitudes vicieuses répétées (rotation interne, sur-élévation et extension d’épaule) sont source de douleurs, ce qui entraîne une perte de l’indépendance pour 28% des patients et un besoin en aide humaine supplémentaire pour 26%.
Les lésions dues à la sur-sollicitation
Une étude a investigué la rupture de la coiffe des rotateurs chez 12 sujets tétraplégiques, qui propulsent un fauteuil roulant manuel (Tétra Hand Meeting, 2010) en moyenne 27 ans après la lésion :
Escobedo en 1997 a constaté sur les patients paraplégiques :
Plus l’âge est avancé, plus il y a de risque d’avoir une voire plusieurs ruptures tendineuses au niveau de l’épaule.
Une étude Taieb (2017) a montré un score à la WUSPI divisé par 3 en post opératoire et une satisfaction de 85% MAIS UN BESOIN DE CHANGER LES HABITUDES DE VIES après l’opération :
Les solutions
- Transfert(s) :
- Diminuez le nombre
- Diminuez la hauteur
- Manipulation fauteuil roulant manuel :
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- Vérifiez les Réglages :
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- Adapté à votre morphologie
- Hauteur arrière des roues
- Centre de gravité
- Pression des pneus
- Hauteur du dossier
- Angle d’assise/dossier
- Choix de la main courante
- Bien choisir les types de propulsion : opter pour des semi-circular (SC), ou double loop over-propulsion (DLOP) plutôt que des single loop over- propulsion (SLOP) ou arcing (ARC).
- Privilégier les aides électriques - motorisations
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- Aménagement de votre intérieur :
- Descendez les objets lourds à 1m50 de hauteur
- Pensez au lit médicalisé et/ou fauteuil de douche
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Favorisez la domotique pour éviter les mouvements délétères
- Aménagement de votre véhicule :
- Ayez une hauteur du véhicule adaptée
- Utilisez des aides techniques
- Activité physique & entretien musculaire :
- Equilibrez le renforcement des groupes musculaires antérieurs et postérieurs
- Renforcez les rotateurs externes, les fixateurs omoplates, le grand dentelé et les abaisseurs
- Étirez le grand pectoral
- Aide(s) humaine(s) – entourage :
- Demandez de l’aide
- Parlez-en avec votre médecin traitant ou de médecine physique et réadapation
- Consultez un kinésithérapeuthe
En conclusion :
Une prévention est nécessaire pour retarder au maximum l’apparition des douleurs, l’impotence fonctionnelle et la dépendance.
Consultez rapidement dès l’apparition de douleurs.
N’hésitez pas à demander de l’aide et à réfléchir tôt à la mise en place d’aides techniques !
Pour plus d'informations, envoyez-nous un mail à navigator@fsk.fr
Sources : Société Française de rééducation de l’Epaule, Akbar 2010 et 2011, Dalyan 1999, Bendaya 2002, Gellman 1998, Agout 2018 et Boileau 2005 / Anatomie clinique : Tome 1, Anatomie générale, membres, Pierre Kamina / Coulet 2021; Mercer 2006 et Yang 2012 / Naguy, 2012